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  Contemporaine - Le blog -

Un espace pour "croquer" (avec un zeste de poésie, si possible) ce que le quotidien donne à vivre ou à observer de l'individu comme de la société. Série de témoignages basés sur le bon sens, la dérision et l'humour. Rire pour philosopher ou philosopher pour rire, coups de cœur ou coups de gueule, qu'importe, CONTEMPORAINE avant tout !

Révolution tunisienne, une histoire d’eau !

Publié le 29 Janvier 2011 par contemporaine in contemporaine

Eau, gouttes et éclaboussures

Depuis le 14 janvier 2011, à tous les niveaux de la vie politique et économique tunisienne (parti, syndicat, administration, entreprises étatiques, unions et associations autorisées et agréées par l’ancien régime, affairistes-spores et affairistes-parasites) nous sommes passés,  en l’espace de 24 heures, de la culture de : « MASSAB ELLI IBELLEK ITOCHNI » à la culture de : « ROD BALEK LA YOUSSELLEK ETTACH »*(FR en note bas de page).

Sacré repositionnement interne pour le pays, non ? ! (« repositionnement » en termes de culture d’entreprise, si tant est qu’un pays se dirige comme on dirige une entreprise)

Eau, larmes et lave

Alors que l’on croyait la jeunesse complètement noyée au fond d’un puits d’ennui et d’oisiveté sous le poids écrasant d’une voyoucratie dominante et sans vision sur l’avenir,  là voilà qui émerge. Les jeunes se constituent en vagues, surfent sur le net, défient les interdits par des proxys et reviennent à la gueule de la dictature méprisante qui pensait les avoir neutralisés en les vidant de toute substance, de toute revendication et de tout esprit critique, les voilà qu’ils lui tombent dessus en l’espace de quelques secondes  sous forme d’un énorme tsunami  vengeur. Un tsunami vengeur d’une jeunesse –gâchis et vengeur de feu –Bouazizi (sans jeu de mots). Feu désespoir, feu humiliation,  feu suicide, feu sacrifice ; jamais feu n’a eu de réplique vague déferlante aussi déterminée.

D’ailleurs, nous avons tous remarqué que pour le maintien de l’ordre, à aucun moment les canons à eau n’ont été utilisés. Eh oui, combattre l’eau par l’eau aurait été aberrant. Par contre, les forces de l’ordre ont essayé l’asphyxie  et les larmes pour intimider nos jeunes…ils n’ont pas compris que cela faisait longtemps, 23 ans au moins, que nos jeunes se sont familiarisés avec les larmes et l’asphyxie. Patiemment assis dans les cafés et autres « salons » dits « salons de thé ou de narguilé », ils ont eu le temps d'apprendre à manquer d'oxygène et à retenir leurs larmes (et dire que nous les pensions "résignés"). Quant aux balles tirées à vif, elles n’ont servi qu’à attiser le feu de la rage qui tel un volcan (« qu’on croyait trop vieux ») a déversé sa  lave brulante en milliers de litres sur ceux qui l’ont provoqué. Du coup, la tactique de la terre brûlée que la dictature a tentée n’a pas fonctionné. Eh oui, combattre le feu par le feu est aberrant aussi.

Eau, soif, sources et vulnérabilité

Dès le  lendemain de la chute de la dictature, une insatiable  « Soif » s’est avérée. Le peuple a plus soif que faim. Il a soif d’une immense soif de plusieurs décennies de retenue : Soif de vérité, soif de justice , soif d’expression , soif de liberté, soif d’informations, soif de projets d’avenir, soif de politique, soif de citoyenneté , soif de civisme, soif de reconnaissance, soif de dignité, soif de clarté, soif de transparence, soif d’honnêteté, soif d’éducation utile… soif de… soif de… Enorme SOIF !

Alors, comment se désaltérer vite mais sans se précipiter, sans suffoquer ? Les télés, les radios, la rue partout on a absorbé 24h /24 en écoutant, en canalisant, en portantant en broadcastant les flux verbaux incessants , en leur offrant un maximum d’espace et de temps et il n'y en avait pas assez pour ce flux mélangé (doléances, témoignages , colères, chagrins,  deuil, tristesse, joie , doutes , incertitudes , espoirs , craintes, passé, présent, futur, réalité collective stratifiée en réalités individuelles, perceptions, croyances, conviction, ignorances, optimisme, scepticisme...). On n’a toujours pas fini d’absorber et d’étancher ce trop plein débordant de non-dits  de dizaines et dizaines d’années de mutisme forcément inculqué et de réflexe d’auto censure bien éduqué.

Alors on s’est mis à boire, à boire, à boire  de l’info, à boire de la parole débridée, à boire de l’image, à boire du débat, à boire de la tournure et de la syntaxe vindicative, à boire du discours éducationnel de pseudo politiciens, à boire tout liquide clair ou moins clair quelle qu’en soit la source. On avait tellement soif, on n’allait pas faire la fine bouche… Avec tant de liquide absorbé  d’un coup on aurait pu suffoquer.  On n’a pas suffoqué, mais on se sent bien « barbouillés ».

Pendant ce temps, une amie naturaliste me disait : « dans la chaîne alimentaire, c’est quand les phytophages se rassemblent autour d’un point d’eau qu’ils sont le plus vulnérables. Or, souvent ils ne le savent pas. ». Gardons en tête cet enseignement de la nature dans notre rassemblement autour de ce point d’eau si convoité, nommé « Libertés » (au pluriel)

 

Eau, sécheresse et pluie-présage

Pour finir, dans un pays continuellement menacé par la sécheresse, l’eau est à la fois amie et ennemie. Il n’a pas plu depuis le début des événements. Il n’a pas plu, non plus, le 14 janvier 2011. On notera qu’une fine pluie apaisante et continue  est tombée pendant quelques heures le jeudi 27 janvier 2011, jour de l’annonce de la constitution du gouvernement provisoire version 2.0.

Devons –nous y lire un signe ? Cette pluie du jeudi (jour de baraka) est-elle un bon présage ou est- ce un apaisement  passager, aussi relatif que « provisoire » ? Qu’elle soit d’eau ou pas, l’Histoire le dira.

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(*En traduction littérale, comprenez chers amis francophones à travers ces  expressions idiomatiques tunisiennes qu’on est passé de la culture de : « pourvu que ceux qui t’arrosent généreusement m’atteignent aussi, ne serait ce que par quelques gouttes » à la culture de  «attention aux éclaboussures »)

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