Si « vivre c’est naitre lentement », alors enfanter ne cesse jamais.
Il n’est rien de comparable à la douleur heureuse de mettre au monde un petit être encore inconnu du monde mais déjà tant aimé et si désiré de « tout le monde ». Il n’est rien de plus insupportable que de traverser les épreuves et les étapes cruciales qui feront plus tard la vie de ce petit être qui croit et grandit à vos yeux mais surtout, et c’est bien là le pire, à ses propres yeux à lui. Il n’est rien de plus insoutenable que la saisissante, obsédante, arrogante angoisse mille fois chassée et mille fois revenue, celle de craindre non pas pour sa propre vie mais pour la vie de cet être à qui l’on a justement donné la vie.
Quand il ne s’agit plus de la première dent et de son lot de fièvre et de troubles divers, quand il ne s’agit plus de la première sortie nocturne entre amis un peu éméchés, quand il ne s’agit plus des épreuves scolaires universitaires majeures, quand il ne s’agit plus d’une fracture, d’une blessure, d’un risque d’accident ou de l’appréhension de la première conduite non accompagnée, quand il ne s’agit plus d’une déception amoureuse ou du chagrin occasionné par une défaite à une compétition sportive, quand il ne s’agit plus de tout cela, pour les mères qui ont un fils, il s’agit surtout d’accepter de livrer au monde un homme adulte maitre de son destin…
Quand on en est là, on comprend mieux le sens de la biblique « tu enfanteras dans la douleur », car enfanter ne cesse jamais. Et détrompez –vous, le sevrage ne concerne pas le nourrisson. C’est l’exercice permanent auquel est soumise une mère du début à la fin de sa vie. Le sevrage est un incessant exercice d’équilibre, de distance, de dosage et de limitation qui revient tous les jours.
Comment accompagner son enfant toute une vie en étant sûre d’être toujours à la bonne distance, celle qui lui permet d’être lui-même mais de ne pas risquer son âme, son cœur, son avenir, sa vie ?
Comment donner tout son amour à son enfant mais en prenant soin de ne pas se tromper de doses selon les besoins ?
Comment instaurer un dialogue sain et sincère avec son enfant sans ramener les limites à des niveaux où la confiance n’est plus reconnue comme preuve d’amour mais comme preuve de faiblesse, d’incertitude et donc d’insécurité ? Ou, pire encore, comment faire pour que le dialogue ne soit pas perçu comme une volonté d’infantilisation maintenue, soutenue et savamment nourrie ?
Comment, à tout âge, trouver le juste équilibre entre l’amie qu’on pourrait être pour son enfant et la mère que l’on doit continuellement rester pour ne jamais devenir, même pas à la toute dernière minute de son existence, la « fille » de son propre fils ?
Comment, ne pas donner l’occasion à l’inquiétude extrême qui taraude jour et nuit une mère dont le fils part « en guerre » de devenir le signe que l’infantilisation inversée peut avoir une quelconque raison d’être ?