A mille lieues de ce qui est convenu de nommer « son chez soi » et à chaque nouveau lieu traversé, le voyageur est inévitablement saisi par une vague impression de déjà vu, ou par l’ombre d’un sentiment d’y avoir déjà vécu, ou encore par l’idée forte bien que furtive de pouvoir y vivre, s’y établir, un jour.
Nostalgie inexpliquée ou nostalgie anticipée, mystérieuse. Elle peut naître d’un rien. D’un détail d’architecture, d’un angle de rue qui soudain parait si familier et pourtant nouvellement emprunté ; d’une brise soufflant une odeur qui ne semble pas étrangère, une perspective, une vue, une rue ombragée, une ruelle pavée, une musique, un air abandonné, un tintement de tasses à une terrasse, un reflet de soleil sur la vitre d’une fenêtre anonyme, un abat-jour tamisé derrière des rideaux à peine fermés, la caresse d’un arôme café par un matin enchanté enveloppant une ville inconnue comme pour l’amadouer, et tant de petits riens s’éveillant aux pas, au regard, à l’odorat et à l’ouïe. Saura-t-on jamais comment naissent les émotions ordinaires du voyageur solitaire ?
A chaque nouvelle contrée visitée, le voyageur croise partout des gens si différents et si semblables à lui à la fois. Ils parlent, se vêtissent et se comportent différemment et pourtant ils ont les mêmes fondamentales préoccupations. Il ne les devine même pas, il les voit, les vit. La gestuelle est parfois différente, mais le regard, le sourire, les rires et les pleurs ne trompent pas, si universels, si communs. Simplement, si humains.
Et si la nostalgie du voyageur n’était finalement que cet état de grâce de la rencontre avec l’humain, une communion intense avec le monde. Une grâce probablement pas très différente de celle décrite par les pieux pèlerins revenus de leurs déplacements vers « les sources du divin». Les voyages ne seraient-ils pas, au fond, un retour vers les sources de l’humain ? La nostalgie du voyageur prendrait alors tout son sens. L’humain est perdu de vue dans le panorama étriqué de l’usuel « chez soi ». Les voyages permettraient-ils au fond un leurre essentiel, celui de pouvoir embrasser d’un coup d’un seul toute l’humanité, l’âme du monde, mais sans la saisir. Nostalgie du voyageur, nostalgie d’un passé incertain et nostalgie d’un futur inconnu!